L’université de Zurich publie une étude préoccupante sur la santé et le bien-être des anciens membres des Témoins de Jéhovah

L’université de Zurich a publié le 15 novembre 2023 une étude portant sur la santé et du bien-être des anciens membres des Témoins de Jéhovah.

Avant-propos

Avant de se plonger dans cette étude, il est important de rappeler que quitter ou être renvoyé de l’organisation des Témoins de Jéhovah implique une grande détresse psychologique et parfois matérielle. L’organisation des Témoins de Jéhovah applique une politique d’isolation des membres qui ne respectent pas les nombreuses règles afin d’assurer l’unité du groupe et la fidélité à la société Watchtower. Les Témoins de Jéhovah considèrent ainsi les personnes exclues comme mortes et évitent de s’associer avec elles. Par ailleurs, les Témoins de Jéhovah ne doivent pas faire « partie du monde » et évitent donc de créer des relations sociales en dehors de leur groupe. Le caractère exclusif de cette organisation, qui se positionne comme la seule unique et vraie religion, et sa politique de traitement des anciens membres, amènent donc à des ruptures familiales et sociales dramatiques, à une solitude extrême, et à un grand désarroi.

Contexte et objectifs

L’étude, réalisée par une équipe de chercheurs provenant de plusieurs institutions académiques, se concentre sur la santé et le bien-être des anciens adeptes Témoins de Jéhovah dans trois pays européens : l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse. L’objectif est de comprendre les expériences de ces individus après leur départ de cette communauté religieuse stricte. Les chercheurs ont cherché à identifier les facteurs de risque et les conséquences psychologiques associés à la sortie de l’organisation des Témoins de Jéhovah.

Méthodologie

Les données ont été collectées via une enquête en ligne, avec un échantillon de 424 participants. La majorité des participants étaient des femmes (65%), avec un âge moyen de 42,14 ans. La plupart des participants (66 %) sont nés dans cette communauté religieuse. Les participants ont été classés selon leur mode de sortie : 50% ont quitté volontairement les Témoins de Jéhovah, 21% ont été expulsés, et 31% ont quitté en raison de mauvais traitements ou d’abus.

Résultats

  • Santé mentale : L’étude révèle que 33% des participants ont eu des pensées suicidaires, et 10% ont tenté de se suicider. Les anciens membres montrent des niveaux élevés de stress et de symptômes cliniques significatifs, indiquant une détresse psychologique notable.
  • Abus et maltraitance : Les femmes et les survivants de maltraitance infantile sont identifiés comme des sous-groupes particulièrement vulnérables. Ces groupes ont signalé des niveaux élevés de maltraitance durant leur enfance et continuent de souffrir de séquelles psychologiques importantes.
  • Qualité de vie : La qualité de vie des participants est jugée faible. Ceux qui ont quitté la communauté en raison de mauvais traitements ou d’abus rapportent davantage de symptômes négatifs comparativement à ceux qui sont partis pour d’autres raisons.
  • Expériences de sortie : L’étude indique que la manière dont les individus quittent la communauté a un impact significatif sur leur bien-être post-sortie. Ceux qui ont été expulsés ou qui ont subi des abus avant leur départ montrent des symptômes de détresse plus prononcés.

Discussion et implications

L’étude souligne l’importance de fournir un soutien adéquat aux anciens Témoins de Jéhovah, en particulier aux femmes et aux survivants de maltraitance infantile. Ces résultats mettent en lumière les défis spécifiques auxquels font face ces individus, y compris des niveaux élevés de stress et une faible qualité de vie après avoir quitté la communauté. Les auteurs recommandent des interventions ciblées pour améliorer la santé mentale et le bien-être de ces anciens membres, en mettant l’accent sur les besoins des sous-groupes vulnérables identifiés dans l’étude.

L’étude en chiffres

Démographie et Contexte

  • Nombre total de participants : 424
  • Âge moyen : 42,14 ans (SD = 12,57, tranche d’âge = 19-83 ans)
  • Sexe : 65 % de femmes
  • Pays de résidence :
    • Allemagne : 87 %
    • Suisse : 8 %
    • Autriche : 5 %
  • Statut relationnel :
    • Célibataire : 18 %
    • En couple : 26 %
    • Partenariat enregistré : 2 %
    • Marié : 39 %
    • Séparé : 4 %
    • Divorcé : 9 %
    • Veuf : 2 %

Éducation et Emploi

  • Niveau d’éducation le plus élevé :
    • École primaire : 1 %
    • École secondaire : 29 %
    • Lycée : 12 %
    • Formation professionnelle : 29 %
    • Formation professionnelle supérieure : 9 %
    • Université : 19 %
  • Statut d’emploi :
    • Employé : 72 %
    • Chômeur / en recherche d’emploi : 6 %
    • En formation (travail/études) : 5 %
    • Femme au foyer : 5 %
    • Retraité/pension : 6 %
    • Bénévolat : 7 %
  • Satisfaction financière :
    • Très insatisfait : 9 %
    • Insatisfait : 20 %
    • Satisfait : 59 %
    • Très satisfait : 12 %

Données sur l’adhésion et la vie sociale

  • Raison de rejoindre la communauté :
    • Né dans la communauté : 66 %
    • Rejoint pendant l’enfance (1-13 ans) : 17 %
    • Rejoint pendant l’adolescence (14-18 ans) : 6 %
    • Rejoint à l’âge adulte (19 ans et plus) : 11 %
  • Socialisation :
    • Tous ou la plupart des membres de la famille sont également membres : 62 %
    • Tous ou la plupart des amis proches sont également membres : 71 %
    • Réduction ou évitement des contacts avec des non-membres : 75 %

Engagement et Activités Communautaires

  • Heures passées par semaine : 15,77 heures (SD = 14,71)
  • Temps et énergie insuffisants pour le travail, la famille, les amis et les loisirs : 70 %
  • Investissement financier : 56 % ont investi de l’argent, 8 % ont rencontré des difficultés financières à cause de cela.

Données sur la sortie de la communauté

  • Temps moyen depuis la sortie : 12,59 ans (SD = 10,61, range : 0-63 ans)
  • Âge moyen à la sortie : 29,56 ans (SD = 12,24, range : 6-71 ans)
  • Mode de sortie :
    • Volontaire : 47 %
    • Arrêt des activités sans sortie officielle : 30 %
    • Expulsé : 21 %
    • Autres raisons : 2 %
  • Raisons de la sortie :
    • Doutes sur les enseignements : 83 %
    • Trop de restrictions : 57 %
    • Différends éthiques et moraux : 56 %
    • Abus subis : 31 %
    • Abus observés : 23 %
    • Conflits avec d’autres membres : 19 %
    • Changement de focus de vie : 15 %
    • Trouvé une autre communauté de foi : 1 %
  • Conséquences de la sortie :
    • Amélioration de la santé mentale : 65 %
    • Amélioration de la santé physique : 47 %
    • Détérioration de la santé mentale : 29 %
    • Détérioration de la santé physique : 20 %

Adaptation après la sortie

  • Dépendance au soutien professionnel : 31 %
  • Crises existentielles : 38 %
  • Pensées suicidaires : 33 %
  • Tentatives de suicide : 10 %
  • Formé de nouvelles amitiés/contacts : 58 %
  • Profité pleinement de la vie : 37 %
  • Isolation : 38 %

Expériences et difficultés après la sortie

  • Exclusion par les membres actifs : 77 %
  • Perte de relations au sein de la communauté : 71 %
  • Peur de punition divine : 36 %
  • Aucune difficulté aggravante : 7 %

Santé actuelle et bien-être

  • Santé générale perçue (SF-36) : Moyenne de 3,08 (SD = 0,96)
  • Maladie chronique actuelle : 43 %
  • Limitations dues aux maladies chroniques :
    • Modérément limité : 36 %
    • Fortement limité : 10 %
    • Très fortement limité : 10 %
  • Prise de médicaments pour des raisons de santé physique : 36 %
  • Symptômes psychologiques (BSI) : Moyenne de 50,99 (SD = 38,32), 63 % dans la plage clinique
  • Trouble de santé mentale diagnostiqué : 41 %
  • En traitement psychothérapeutique : 28 %
  • Prise de médicaments pour des raisons de santé mentale : 20 %
  • Stress perçu (PSS-10) : Moyenne de 19,39 (SD = 7,89)
  • Stress momentané (Stress NRS-11) : Moyenne de 5,36 (SD = 2,70)
  • Qualité de vie (WHO-5) : Moyenne de 11,26 (SD = 6,00)

Différences selon le mode de sortie

Le mode et la raison du départ (c.-à-d. expulsion, traumatisme vécu, raisons personnelles) sont significativement associés à divers aspects liés à la santé (mentale).

  • Stress perçu :
    • Départ pour raisons personnelles : Moyenne de 18,15
    • Départ suite à une expérience de traumatisme : Moyenne de 21,31
  • Meilleure qualité de vie :
    • Départ pour raisons personnelles : Moyenne de 12,15
    • Départ suite à une expérience de traumatisme : Moyenne de 10,29
  • Symptômes psychologiques et psychosomatiques :
    • Départ pour raisons personnelles : Moyenne de 37,98
    • Départ suite à une expérience de traumatisme : Moyenne de 59,95
    • Expulsé : Moyenne de 46,93
  • Maltraitance pendant l’enfance :
    • Départ pour raisons personnelles : Moyenne de 54,83
    • Départ suite à une expérience de traumatisme : Moyenne de 67,17
    • Expulsé : Moyenne de 58,90

Extraits de cette étude

L’étude a été menée sur le site principal de l’étude, à l’Université de Zurich, en Suisse, en collaboration avec l’Université de Vienne, en Autriche.

Il s’agit d’un projet de recherche triangulaire multi-pays (Autriche, Allemagne, Suisse), intégrant des recherches qualitatives (c’est-à-dire des entretiens) et quantitatives (c’est-à-dire une enquête en ligne).

Ces résultats ont montré qu’un nombre substantiel d’anciens membres (c’est-à-dire 38 %) présentaient un profil de bien-être potentiellement préjudiciable.

Un nombre considérable d’individus ont montré un profil vulnérable (c’est-à-dire des valeurs négatives globales sur tous les indicateurs ; 27 %) ou un profil défavorable (c’est-à-dire les niveaux les plus bas de satisfaction de vie et d’affect positif, et les niveaux les plus élevés de stress, d’affect négatif et de symptômes ; 11 %).

Contexte : Cette étude a recueilli des données quantifiables sur les caractéristiques, la santé et le bien-être des personnes qui ont quitté ou ont été expulsées d’une communauté de foi chrétienne fondamentaliste en Autriche, en Allemagne ou en Suisse. Méthodes : Les données ont été collectées à l’aide d’une enquête en ligne. Résultats : Cette étude a évalué un échantillon d’anciens Témoins de Jéhovah ( N  = 424, âge M  = 42,14, âge ET  = 12,57, 65 % de femmes). La plupart des participants (66 %) sont nés dans cette communauté religieuse. La moitié de l’échantillon est partie volontairement, 21 % ont été expulsés et 31 % sont partis parce qu’ils avaient subi des abus ou des mauvais traitements. Un tiers a déclaré avoir eu des pensées suicidaires ; 10 % ont tenté de se suicider. L’échantillon (en particulier les femmes) a déclaré des niveaux relativement élevés de maltraitance envers les enfants, un état de santé actuel modéré, des symptômes cliniquement significatifs, des niveaux élevés de stress et une faible qualité de vie. Les participants qui sont partis en raison d’abus ou de maltraitance ont déclaré davantage de symptômes et de maltraitance envers les enfants. Discussion : Les femmes et les survivants de maltraitance envers les enfants peuvent représenter des sous-groupes particulièrement vulnérables d’anciens Témoins de Jéhovah.

Dans le cadre de ce projet, le terme communauté de foi chrétienne fondamentaliste a été choisi pour englober les différentes communautés de foi chrétiennes exclusives qui partagent des caractéristiques communes. Ces caractéristiques communes comprennent la source d’information (c’est-à-dire la Bible), l’infaillibilité scripturale, le contenu de base des croyances (par exemple, le récit du salut, la prophétie d’une apocalypse), le modèle de pensée dichotomique (c’est-à-dire le bien contre le mal), le nombre comparativement plus petit de membres par rapport aux communautés de foi chrétiennes historiquement plus établies, la méfiance envers la société laïque, ainsi que leur caractéristique exclusive/restrictive.

Les Témoins de Jéhovah et les communautés religieuses comparables sont souvent socialement exclusifs (Scheitle et Adamczyk, Citation2010 ), et sont connus pour pratiquer l’ostracisme (obligatoire) (Ransom et al., Citation2021 ). Cela peut laisser les anciens membres socialement isolés après avoir quitté ou avoir été expulsés de la communauté religieuse, en raison de la perte d’une communauté familière et solidaire en période de stress psychosocial élevé. Étant donné la grande importance des liens sociaux pour les êtres humains (par exemple, Umberson et Montez, Citation2010 ), l’expérience de l’ostracisme (obligatoire) peut exposer les anciens membres à un risque de mauvaise santé physique et mentale et de bien-être. (…) Ainsi, certains ex-membres peuvent être réticents à demander de l’aide en raison de l’auto-stigmatisation ou de l’attente que les professionnels de la santé ne comprennent pas les particularités de leur situation

Après la sortie, 65 % et 47 % de l’échantillon ont déclaré que leur santé mentale et physique, respectivement, s’était beaucoup ou un peu améliorée. Alors que 6 % des participants ont indiqué que leur santé mentale était restée la même, 29 % ont déclaré qu’elle s’était détériorée après la sortie. En ce qui concerne la santé physique, 34 % des participants ont déclaré qu’elle était restée la même et 20 % ont déclaré qu’elle s’était détériorée après la sortie.

En ce qui concerne la gestion après la sortie, après la fin du contact avec la communauté religieuse, 31 % des participants ont déclaré qu’ils dépendaient d’un soutien professionnel et 38 % ont déclaré qu’ils étaient entrés dans une crise et ne savaient plus quoi faire de leur vie (plusieurs réponses possibles, voir Tableau 2 pour un aperçu). De plus, 33 % ont déclaré avoir pensé à se suicider et 10 % ont tenté de mettre fin à leurs jours après leur sortie. Cependant, 37 % ont déclaré avoir profité pleinement de leur vie et avoir fait des choses qu’ils n’avaient pas le droit de faire auparavant, et 58 % ont noué de nouveaux amis/contacts et ont réactivé des contacts antérieurs.

Concernant les circonstances aggravantes après la fin du contact avec la communauté religieuse (voir Tableau 3 pour un aperçu), la plupart des participants (77 %) ont été mis à l’écart ou exclus par des membres actifs de la communauté religieuse et 71 % ont déclaré avoir dû renoncer à des relations au sein de la communauté religieuse. De plus, 36 % ont indiqué craindre une punition de Dieu, tandis que 7 % n’ont signalé aucune circonstance/activité aggravante.

En ce qui concerne la maltraitance des enfants, contrairement aux données d’un échantillon représentatif de la population allemande (Iffland et al., Citation2013 ), l’échantillon actuel a signalé des niveaux nettement plus élevés de négligence émotionnelle (c.-à-d. 13,9 % contre 81 % dans l’étude actuelle), de violence psychologique (c.-à-d. 10,2 % contre 65 % dans l’étude actuelle), de violence physique (c.-à-d. 12 % contre 34 % dans l’étude actuelle) et de violence sexuelle (c.-à-d. 6,2 % contre 18 % dans l’étude actuelle)

De plus, un nombre important de participants ont déclaré que la raison pour laquelle ils avaient quitté la communauté religieuse était qu’ils avaient subi (31 %) ou observé (23 %) des abus ou des maltraitances.

Ce niveau de santé et de bien-être relativement faible dans l’échantillon total peut être lié aux conséquences sociales négatives et stressantes rapportées par la plupart des participants après leur départ. Il s’agit notamment d’expériences de rejet ou d’exclusion par les membres actifs et de la perte de relations. Pour environ un sixième de l’échantillon, quitter la communauté religieuse a entraîné la fin d’une relation fondamentale, comme un divorce. Il s’agit d’un facteur de stress majeur dans la vie qui a été lié à de mauvais résultats en matière de santé (p. ex., Dupre et al., Citation2015 ). La pratique de l’ostracisme a des effets négatifs bien connus sur les personnes concernées (voir par exemple Bastian et Haslam, Citation2010 ). Étant donné que le soutien social est une ressource essentielle pour faire face aux événements critiques de la vie (Maercker et al., Citation2017 ), la perte de relations (essentielles) en réponse à la sortie peut être considérée comme une perte de ressources cruciales. 

Il s’agit de l’une des plus vastes études menées auprès d’anciens membres des Témoins de Jéhovah en général et de la plus vaste étude jamais menée auprès d’anciens membres germanophones des Témoins de Jéhovah. Bien que cette contribution empirique apporte de nouvelles connaissances quantifiables substantielles sur la santé et le bien-être d’un sous-ensemble (c’est-à-dire des personnes auto-sélectionnées, auto-identifiées, intéressées par la participation à la recherche) d’anciens Témoins de Jéhovah, elle soulève également d’autres questions sur ce sujet. »

Cela pourrait être suivi d’une étude longitudinale prospective à grande échelle, avec plusieurs points de mesure et une conception à méthodes mixtes. »

Auteurs de l’étude

Thoma, M. V., Goreis, A., Rohner, S. L., Nater, U. M., Heim, E., & Höltge, J. (2023). Characteristics of health and well-being in former Jehovah’s Witnesses in Austria, Germany, and Switzerland. Mental Health, Religion & Culture26(7), 644–662.

https://doi.org/10.1080/13674676.2023.2255144

Sources

Tous les procédés, références et autres données précises se trouvent dans l’étude détaillée dont voici le lien : https://doi.org/10.1080/13674676.2023.2255144

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