Comprendre l’endoctrinement et la radicalisation chez les Témoins de Jéhovah
L’endoctrinement et la radicalisation sont des phénomènes d’une grande complexité. Il est difficile d’en saisir les mécanismes, les motivations, la logique, ou même de les appréhender avec un regard extérieur. Les justifier est encore plus ardu, et leurs processus sont souvent mal compris. Ils s’accompagnent fréquemment d’émotions intenses, comme une rupture totale ou un rapport à la mort. Ils sont également le résultat de plusieurs facteurs qui, lorsqu’ils sont combinés, créent les conditions favorables au contrôle.
Ce contrôle ne doit pas être perçu comme quelque chose de grotesque ou caricatural. Il ne s’agit pas, par exemple, de retenir physiquement des personnes en otage ou de leur infliger un lavage de cerveau par des moyens brutaux. Les Témoins de Jéhovah, par exemple, croient sincèrement être libres, agir en pleine conscience et faire ce qui est juste. C’est précisément cette subtilité qui rend le phénomène si complexe.
Aborder ce sujet nécessite une profonde empathie pour comprendre que les individus soumis à une telle emprise en sont eux-mêmes les victimes, tout en devenant parfois les bourreaux de la situation qu’ils provoquent. Mon objectif est de partager mon point de vue, tel que je l’ai ressenti, en ayant fait partie des Témoins de Jéhovah, ainsi que par des lectures, notamment celles du docteur Steven Hassan, et par des documentaires comme celui sur le drame de Jonestown, qui met en lumière des schémas similaires.
Ce message se veut nuancé et vise à sensibiliser au grand nombre de facteurs pouvant amener une personne, dans divers contextes – pas uniquement religieux – à adopter des comportements perçus comme irrationnels, tout en étant persuadée d’agir avec bienveillance et sans mauvaise intention.
Dans la majorité des groupes présentant des « dérives », on trouve des personnes bonnes, intelligentes, en quête de bonheur, d’épanouissement personnel, ou de sens face aux aléas de la vie. La plupart des membres ne sont pas des monstres. Les caricaturer en les réduisant à des « sectaires », « non chrétiens », ou encore « décérébrés » témoigne d’un profond manque d’empathie. Et c’est précisément cette empathie qui est cruciale pour améliorer notre monde.
Voici quelques questions clés que j’aimerais explorer :
- Comment peut-on en arriver à rompre avec ses proches pour des idéologies, tout en croyant agir avec bienveillance ?
- Pourquoi des familles chassent-elles leurs enfants adultes si ceux-ci n’adhèrent plus aux croyances ?
- Comment en vient-on à se sentir persécuté lorsque nos croyances sont remises en question par des personnes de longue date, sincèrement préoccupées par une situation qui évolue et un changement de comportement de notre part ?
- Pourquoi ce jugement permanent envers les autres se développe-t-il ?
- Pourquoi une vision binaire du monde (« nous vs eux ») s’installe-t-elle ?
- Comment peut-on justifier de cacher des crimes, comme des cas de pédophilie ?
- Pourquoi des pratiques comme l’excommunication brisent-elles des familles sans remords ?
- Comment peut-on refuser un traitement médical vital comme une transfusion de sang pour soi-même ou son enfant (cf article du Time) ?
- Comment peut-on croire que des dirigeants d’une organisation née aux États-Unis régneront un jour sur l’humanité aux côtés de 144 000 élus ?
- Comment en arrive-t-on à développer un sentiment de supériorité et à accepter un discours extrémiste envers les « gens du monde » et les croyants d’autres religions, condamnés à une extermination massive ?
- Comment peut-on en venir à croire que l’ONU est la « bête sauvage » de l’Apocalypse de Jean ?
- Pourquoi une culture de la dénonciation des autres se met-elle en place ?
- Pourquoi développe-t-on une peur d’exprimer une opinion personnelle lorsqu’elle diffère de la pensée du groupe ?
Ces comportements, bien qu’extrêmes, sont le fruit d’un processus long et complexe d’endoctrinement, de manipulation et de contrôle. Ils touchent autant les nouveaux intéressés que les dirigeants des Témoins de Jéhovah.
En examinant la définition même de l’endoctrinement dans le dictionnaire, on observe deux dimensions essentielles : le contrôle de la pensée et le contrôle du comportement, auxquels on doit ajouter le contrôle des émotions et de l’information. Ces éléments combinés créent un environnement propice à une emprise totale.
Ce post se veut une réflexion ouverte et empathique pour mieux comprendre ces mécanismes, tout en appelant à une plus grande bienveillance dans nos jugements et à une prise de conscience des dynamiques humaines derrière ces comportements.
La responsabilités des gens
Avant d’aborder le cœur de la question de l’endoctrinement, une réflexion fondamentale s’impose : quelle est la part de responsabilité des individus dans leurs actes ?
Nous ne choisissons ni le lieu ni la famille dans laquelle nous naissons. Nous grandissons dans un environnement culturel qui façonne notre personnalité, et la vie apporte son lot de souffrances et de blessures. Dès lors, quels choix réels avons-nous, et quelle est notre part de responsabilité ? Lorsqu’on juge une personne, il s’agit souvent moins de comprendre sa responsabilité que de préserver notre propre sécurité. Par ailleurs, il reste difficile d’expliquer, et encore plus de justifier, comment quelqu’un peut en arriver à de tels extrêmes.
Quand intervient l’endoctrinement
Comme vous l’aurez compris, l’endoctrinement peut commencer dès la naissance, mais il peut également survenir à n’importe quel moment de la vie. Il intervient souvent dans des périodes de vulnérabilité : une perte d’un proche, des difficultés conjugales, ou une détresse psychologique. Cependant, cela peut aussi arriver lorsqu’une personne est simplement en quête de réponses sur le sens de la vie. Pour illustrer ce processus, j’ai imaginé le parcours d’une personne recrutée. Dans cet exemple, le recruteur est sincèrement animé par l’envie d’aider, d’apporter un message de réconfort et de donner du sens aux souffrances de l’autre. Son engagement peut également être motivé par la crainte de Dieu et le sentiment d’un devoir sacré de transmettre Sa parole. Parfois, il agit simplement sous l’influence de son environnement familial ou culturel, ou encore en réponse à une pression implicite : prêcher, car c’est ce que Jéhovah exige de ses fidèles, et chacun doit « faire ses heures ».
Mécanismes de l’endoctrinement
Dissonance cognitive et transformation par la normalisation comportementale
Lorsque quelqu’un commence une étude biblique avec les Témoins de Jéhovah, des mécanismes précis et intéressants se mettent en place. L’étude suit un programme strictement structuré : l’élève lit des paragraphes, répond à des questions associées, et cite les réponses directement issues du texte (comme illustré dans cet exemple). Bien sûr, l’étudiant peut poser des questions et exprimer ses doutes. Cependant, un travail subtil sur la dissonance cognitive commence déjà à opérer. Ce processus s’intensifie ensuite lors de la participation aux réunions (en répondant aux questions posées), dans l’implication à l’école théocratique (en préparant et présentant des sujets), et dans la manière de prêcher ou de guider d’autres études bibliques. Cette méthodologie favorise un formatage et une normalisation progressive. Peu à peu, l’individualité est effacée pour faire place à une pensée collective. Toute divergence ou remise en question sera progressivement interprétée comme une faiblesse spirituelle ou un manque de fidélité envers l’autorité suprême de l’organisation, considérée comme choisie par Dieu lui-même. Ainsi, la personne est graduellement encouragée à adopter une nouvelle personnalité : à abandonner ses habitudes et croyances « mondaines », et à se conformer pleinement à la pensée et aux valeurs du groupe.
Fondamentalisme religieux
Dans cette étude qu’il va suivre, l’étudiant est exposé à un message fondamentaliste qui peut l’attirer. Les Témoins de Jéhovah s’appuient sur une abondance de versets bibliques dans leur littérature pour donner l’impression que leur doctrine est solidement ancrée et soutenue par la Bible. Cependant, ces versets sont souvent sortis de leur contexte, détournés de leur sens initial, ou liés de manière trop arbitraire pour justifier pleinement leur utilisation. Avec du recul, on réalise que cette doctrine est en réalité simpliste et qu’elle ignore de nombreuses avancées contemporaines, qu’elles soient historiques, archéologiques, bibliques ou scientifiques. Elle repose sur une interprétation littérale des textes, notamment en ce qui concerne des récits comme celui de la Genèse (par exemple, croire littéralement au déluge et condamner ceux qui y voient un mythe, comme illustré à la 15ᵉ minute de cette vidéo), ou encore sur des sujets tels que la consommation de sang, le refus de participer aux guerres, ou l’homosexualité. Cette approche s’accompagne d’un raisonnement simpliste, que l’on pourrait même qualifier de conspirationniste : tout est considéré comme évident parce que « c’est écrit noir sur blanc » dans la bible. Les Témoins de Jéhovah s’autoproclament les seuls à interpréter et pratiquer la Bible correctement, et les seuls à utiliser le « vrai » nom de Dieu. Ils s’identifient ainsi comme « la vérité », le peuple « élu », affirmant que Dieu doit nécessairement avoir une organisation terrestre. Pourtant, la réalité est bien plus complexe. Par exemple, il existe des raisons solides et rationnelles de ne pas interpréter la Genèse de manière littérale, et certaines religions en tiennent compte en intégrant des éléments rationnels à leurs croyances. En revanche, en tant que Témoin de Jéhovah, on adopte souvent une posture qui pousse à railler, à ressentir un sentiment de supériorité, à diaboliser et condamner, sans chercher à comprendre le point de vue ou les arguments des autres. Cette posture défensive, s’appuie donc sur une interprétation littérale et rigide, dénuée de réflexion rationnelle.
Love bombing
Lorsqu’un étudiant est invité aux réunions, il est sera exposé à ce qu’on appelle le « love bombing », une attention chaleureuse et particulière destinée à lui faire sentir qu’il est le bienvenu (comme le confirment divers témoignages sur les réseaux sociaux). Ce processus favorise la création d’un sentiment d’appartenance au groupe, en agissant principalement sur le plan émotionnel. Il est important de noter que ceux qui pratiquent ce « love bombing » ne le font pas avec l’intention de manipuler. Ils agissent ainsi parce qu’ils ont été encouragés à le faire et sont convaincus d’agir correctement (comme expliqué dans cet article de jw.org). Cependant, à mes yeux, cela reste une forme de « love bombing » car cette attention est conditionnelle et non spontanée. L’accueil chaleureux s’estompe avec le temps, voire disparaît brusquement si la personne perd son intérêt pour la « vérité », même si elle souhaite maintenir des liens sincères avec ceux qu’elle considérait comme de véritables amis. Les adeptes, de leur côté, sont encouragés à passer à autre chose si l’étudiant cesse de manifester de l’intérêt pour la doctrine. Ce même principe s’applique également aux membres « refroidis » qui reprennent contact avec le groupe en revenant aux réunions. Ils sont de nouveau accueillis avec cette chaleur initiale, mais toujours sous des conditions implicites liées à leur engagement dans la « vérité ».
Language du groupe
Si la personne intéressée poursuit l’expérience, elle finira progressivement par adopter le langage propre au groupe, utilisant des expressions comme « avoir la vérité », « les gens du monde », « l’organisation », « être spirituellement faible », « avoir Jéhovah », « les bonnes nouvelles », ou encore « la fin des temps » (voir ici). Ce vocabulaire spécifique, incompréhensible pour quelqu’un d’extérieur, joue un rôle important dans le renforcement du sentiment d’appartenance au groupe. En même temps, il alimente une vision binaire du monde, opposant ceux « dans la vérité » aux autres.
Le sentiment que tout est grâce à Jéhovah ou à cause de Satan
Dans cette vision binaire propre au langage du groupe, une récurrence notable se dessine : tout ce qui est positif dans la vie est attribué à Jéhovah – qu’il s’agisse de trouver un emploi, de réussir ses études ou d’améliorer sa situation personnelle. En revanche, tout ce qui est négatif est associé à Satan ou à un monde injuste et corrompu, voué à disparaître prochainement. Cette manière de penser laisse peu de place à l’estime personnelle, car les réussites sont perçues comme venant exclusivement de Jéhovah, tandis que les échecs ou les difficultés sont attribués à des influences extérieures négatives. Chez certains adeptes, ces expressions deviennent presque omniprésentes, insérées systématiquement dans leurs conversations. Bien que ce type de pensée puisse se retrouver dans d’autres cultures, il y a une intensité particulière chez les Témoins de Jéhovah, où cette dichotomie est fortement ancrée dans la vision du monde et le discours quotidien.
Amalgame Organisation et Dieu
Dans le langage du groupe, lorsqu’une personne quitte les Témoins de Jéhovah, on dira qu’elle a « abandonné Jéhovah », sous-entendant qu’en s’éloignant de l’organisation, elle s’éloigne également de Dieu. Cet amalgame entre Dieu et l’organisation est donc total : l’organisation se substitue entièrement à Dieu dans cette logique. Quiconque quitte l’organisation est perçu comme le faisant pour de mauvaises raisons, car il est inconcevable de tourner le dos à une organisation que l’on considère choisie par Dieu. Bien que les Témoins de Jéhovah refusent d’admettre cet amalgame, il est pourtant omniprésent dans leur discours et dans tout leur matériel. Les membres sont d’ailleurs activement encouragés à ramener les anciens membres au sein de l’organisation, à travers des initiatives appelées Revenir à Jéhovah, ce qui revient, en pratique, à leur faire réintégrer l’organisation elle-même.
Endoctrinement par les cantiques
Si la personne intéressée assiste aux réunions, elle sera également exposée à l’endoctrinement à travers les cantiques chantés en début, milieu et fin de chaque réunion. Ces chants, porteurs d’émotions fortes, contribuent à renforcer son sentiment d’appartenance, son adoption du langage du groupe, son formatage et sa soumission à l’organisation. Je ne dis pas que chanter est dangereux en soi. Cependant, il est bien connu que le chant est un outil puissant, utilisé dans de nombreux contextes, religieux ou non, pour susciter un sentiment d’unité, motiver des groupes, ou transmettre des messages. L’une des choses qui m’a profondément marquée lorsque j’ai pris conscience de ma situation, c’est que je ne pouvais plus supporter cette soumission constante à l’organisation. Elle imprègne tout : les discours, les revues, les vidéos, et même les cantiques. Cette association systématique entre des exemples bibliques et l’obéissance à l’organisation était omniprésente, y compris dans les questions préparatoires au baptême, où elle est habilement intégrée
Endoctrinement par la prédication
Lorsque la personne devient proclamatrice, elle se retrouve confrontée à de nombreuses réactions négatives lors de la prédication de porte à porte : indifférence, mépris, et parfois même agressivité. Ces expériences renforcent son sentiment d’appartenance au groupe ainsi que la vision binaire inculquée par l’organisation, qui l’amène à croire que ce monde est sous l’influence de Satan et que les gens refusent la parole de Dieu et de son organisation. Pourtant, en réalité, ces réactions défensives sont motivées par le désir légitime de protéger leur famille ou leur intimité. En pratique, selon moi, la prédication sert davantage à renforcer l’engagement des membres envers le groupe qu’à recruter de nouveaux adeptes. Les statistiques de prédication le montrent de manière frappante : avec environ 8 millions de membres, les Témoins de Jéhovah ont déclaré plus d’un milliard d’heures de prédication en 2021 (1’423’039’931 heures, pour être précis). Mais quels résultats concrets cela produit-il ? Si l’on considère le temps passé par habitant de la planète, on réalise que l’impact réel en termes de nouveaux membres est minime. En réalité, la prédication est un moyen de maintenir les membres existants occupés, solidifiant leur engagement au sein du groupe plutôt que d’atteindre des personnes extérieures.
Endoctrinement par la charge de travail à consacrer au groupe et aux contenus produits par celui-ci
La prédication joue un rôle central dans le renforcement du lien entre la personne et le groupe, tout en contribuant à son endoctrinement. Plus une personne participe à la prédication, plus elle renforce ses liens avec les autres membres, car celle-ci se pratique toujours en binôme. Par ailleurs, une implication active dans cette activité lui assure une meilleure image au sein du groupe. À l’inverse, une personne qui ne prêche pas est perçue comme « spirituellement faible ». Ces individus « faibles » sont considérés comme de mauvaises compagnies, à éviter, afin de ne pas compromettre sa propre spiritualité. La charge de travail demandée pour rester intégré dans le groupe est conséquente. Cela inclut la préparation aux réunions, à l’école théocratique, aux discours à donner, et aux sujets à présenter en porte-à-porte. S’ajoutent également la lecture quotidienne de la Bible et du texte du jour. Tout cela passe par l’assimilation du matériel fourni par l’organisation, en vue de le retransmettre lors des différentes activités. La participation active est fortement encouragée dans toutes ces démarches : réunions, école théocratique, prédication, assemblées, et études menées avec des étudiants. Même pendant ses vacances, l’adepte est incité à maintenir un lien avec l’organisation, en continuant son étude personnelle ou en trouvant une Salle du Royaume proche de son lieu de séjour, bien que cela ne soit pas explicitement obligatoire. Ainsi, la personne est constamment immergée dans cette dynamique, avec des messages et des sujets qui reviennent régulièrement. Certains anciens Témoins de Jéhovah qualifient même cela de véritable matraquage de l’information.
Climat d’urgence et de peur
Un sentiment d’urgence omniprésent est également inculqué, incitant la personne à s’engager pleinement dans l’organisation sans prendre de recul. Ce sentiment est alimenté par l’idée que la fin du monde est imminente – depuis plus de 140 ans – et régulièrement évoquée lors des réunions et dans les vidéos produites par l’organisation. On y présente des scénarios où même les gouvernements se retourneraient contre les Témoins de Jéhovah, renforçant cette idée de persécution (un parallèle intéressant peut être fait avec les craintes exprimées par Jim Jones dans le drame de Jonestown). Ce climat d’urgence impose une préparation constante et l’idée qu’il faut plaire à Dieu pour mériter le salut, ce qui passe par une implication totale dans la prédication et les activités de l’organisation. De plus, ce salut est difficilement accessible : on est poussé à saisir toutes les opportunités pour partager les « bonnes nouvelles », que ce soit au travail, à l’école, ou en prédication, afin de « sauver » un maximum de personnes et d’éviter d’avoir du sang sur les mains. La pression est renforcée par le système de rapports mensuels, où il faut indiquer le nombre d’heures consacrées à la prédication, les publications distribuées, et autres activités. Ces rapports, qui ressemblent à des évaluations de performance dans le monde professionnel, exercent une pression constante. Un minimum d’heures est attendu, et si une personne ne fournit plus de rapport pendant six mois, elle est officiellement considérée comme « inactive ». Ce statut entraîne une stigmatisation : elle est alors vue comme « spirituellement faible », peu fréquentable, et ne peut prétendre à aucun « privilège » au sein de l’organisation. Il est également à noter que certains Témoins de Jéhovah gonflent leurs chiffres dans ces rapports pour éviter des réprimandes – comme le confirment plusieurs témoignages disponibles sur Reddit, une pratique dont j’ai moi-même fait partie. À cela s’ajoute une peur exacerbée des forces maléfiques, supposément dirigées par Satan et agissant dans l’ombre par divers moyens. Un exemple frappant de cette phobie est l’article de jw.org sur les dangers supposés du yoga. Cette peur s’étend à d’autres aspects, comme l’évitement systématique des églises, même par crainte de simplement y entrer. Le docteur Steven Hassan aborde cette phobie dans son livre :
Chez les Témoins de Jéhovah, il existe une grave phobie des églises. Je me souviens d’un incident impliquant un jeune Témoin de Jéhovah qui a refusé de participer à une évacuation d’urgence d’une école publique vers une église. Le garçon de 10 ans a dû être porté à l’intérieur, en pleurant et en criant, parce qu’il pensait que toutes les églises étaient remplies de démons […].
Fredom of mind : Helping Loved Ones Leave Controlling People, Cults, and Beliefs – page 31
Cela a également été mon cas. Il faut dire que, dans la doctrine des Témoins de Jéhovah, les églises sont considérées comme faisant partie de « Babylone la Grande », la maison de la prostituée spirituelle, destinée à être détruite lors d’Armageddon. Cette peur s’étend également aux objets, tels que des amulettes ou tout autre objet jugé « spirituellement impur ». Les membres sont encouragés à s’en débarrasser pour éviter d’attirer Satan et ses démons, renforçant ainsi un climat de méfiance et de crainte vis-à-vis de tout ce qui pourrait être perçu comme ayant une connotation maléfique. Enfin, il y a aussi le sentiment constant d’être surveillé par Jéhovah, qui est décrit comme voyant tout, jusque dans les aspects les plus intimes de notre vie. Cette idée, bien que présentée comme une bienveillance divine, peut générer une pression psychologique importante, renforçant un contrôle sur les pensées et les actions des membres.
Endoctrinement par l’engagement, les signes et l’échec des prophéties
Une fois que nous sommes engagés dans une voie ou que nous avons pris une décision importante, il devient difficile de faire marche arrière ou de remettre en question nos choix. Cela est encore plus vrai dans un contexte où des croyances profondes, des sacrifices et un fort engagement sont en jeu. En général, nous cherchons à nous rassurer sur la validité de nos décisions par tous les moyens disponibles. Par exemple, chaque événement négatif – guerres, crises climatiques, ou autres – est interprété comme une confirmation des croyances. Chez les Témoins de Jéhovah, cela se traduit en ce moment par l’idée que la Russie est le roi du Nord, un symbole de la fin des temps (et non, ce n’est pas Jon Snow). Les Témoins de Jéhovah présentent également des récits extraordinaires qui relèvent presque de la propagande. Par exemple, une histoire raconte qu’un tsunami, grâce à l’intervention divine de Jéhovah, aurait permis la construction d’une Salle du Royaume. D’autres récits encore plus invraisemblables circulent, mais ils gagneraient à être remis en question et démystifiés par une analyse critique approfondie. Chaque nouvelle génération de Témoins de Jéhovah hérite ainsi de son propre lot de prédictions et de « signes » interprétés pour renforcer leur foi et maintenir leur engagement. Pourtant, aucun bilan des prédictions passées ou des signes échoués n’est jamais effectué. Pour justifier les erreurs ou les contradictions, on invoquera le concept de la « lumière croissante », expliquant que les vérités spirituelles sont révélées progressivement. Cependant, en réalité, le fondement des croyances reste inchangé. Je vous recommande la lecture de l’essai L’échec d’une prophétie (lien ici), qui étudie un groupe religieux UFO ayant prédit une fin du monde imminente. Le livre analyse comment, face à l’échec de cette prophétie, le groupe réagit par un phénomène de dissonance cognitive, allant jusqu’à renforcer ses croyances et son prosélytisme. Cette réaction s’explique par des conditions spécifiques, abondamment explorées dans l’ouvrage, qui évoque également le mouvement millérite – ancêtre des Témoins de Jéhovah. L’une de ces conditions, en particulier, m’a semblé particulièrement fascinante :
2. La personne doit s’être consacrée à la croyance. Pour le maintien de la croyance, elle doit avoir pris d’importantes mesures difficiles à défaire.
Il est clair qu’un Témoin de Jéhovah zélé aura fait de nombreux sacrifices dans ses choix de vie, en adoptant les comportements attendus par le groupe, au détriment de son épanouissement personnel. Par exemple, il est fortement déconseillé de poursuivre des études supérieures, afin de se consacrer plus rapidement à Dieu et de mener une vie modeste, conforme aux standards « bibliques » interprétés par l’organisation. Les loisirs pratiqués avec passion sont également fortement découragés, car, selon les Témoins de Jéhovah, la recherche de plaisir est l’une des « principales distractions utilisées par le Diable pour détourner notre attention de la question du Royaume ». Cette conception impose une vision particulièrement restrictive de la vie quotidienne, limitant les opportunités de développer des passions ou des ambitions personnelles. Pour comprendre l’impact de ces sacrifices, il est intéressant de faire un parallèle avec l’échec de la prophétie des Témoins de Jéhovah concernant la fin du monde en 1975. Malgré cet échec et les centaines de milliers de départs qu’il a provoqués, de nombreux membres sont restés fidèles à l’organisation, preuve de l’engagement profond que ces sacrifices avaient renforcé. Enfin, il faut également mentionner la difficulté à trouver un partenaire, un problème particulièrement aigu pour les femmes en raison d’un déséquilibre démographique au sein du groupe. Ce contexte peut conduire à un célibat prolongé, vécu dans un environnement strictement puritain, avec toutes les implications émotionnelles et sociales que cela peut engendrer.
Le concept d’être les élus
Le concept d’être « les élus » constitue le principal levier qui confère toute sa légitimité aux Témoins de Jéhovah et à leur organisation, la Watchtower, pour instaurer, maintenir et justifier un environnement de contrôle. Pour illustrer ce mécanisme, je vais citer l’introduction du livre Captives of a Concept, dans laquelle Don Cameron, un ancien « Ancien », offre une excellente description de ce concept.
Le concept qui a tenu une centaine de membres captifs des Davidiens était leur conviction que David Koresh était la personne choisie de Dieu pour leur enseigner ce qu’il voulait leur faire croire.
Le concept qui a tenu environ un millier de membres captifs du Temple du peuple était leur conviction que Jim Jones était la personne choisie de Dieu pour leur enseigner ce qu’il voulait leur faire croire.
Le concept qui détient encore des millions de Témoins de Jéhovah captifs est leur conviction que la « Watchtower » a été choisie par Dieu.La déclaration suivante de Raymond Franz, ancien membre du Collège Central, pourrait bien être la meilleure explication jamais écrite de ce qui fait « vibrer » les Témoins de Jéhovah:
Captives of a concept – page 20 et 21
J’essaie dans mon esprit et dans mon cœur de comprendre les sentiments de tous les Témoins de Jéhovah, y compris ceux du Collège Central. Sur la base de ma propre expérience [60 ans] parmi eux, je crois qu’ils sont, en fait, captifs d’un concept. Le concept ou l’image mentale qu’ils ont de « l’organisation » semble presque avoir une personnalité propre, de sorte que le concept lui-même les contrôle, les émeut ou les restreint, en modelant leur pensée, leurs attitudes, leurs jugement. Le concept de « l’organisation » devient, en fait, la force dominante, la force de contrôle.
Crise de conscience – Raymond Franz
Selon Don Cameron, toutes les questions doctrinales des Témoins de Jéhovah – qu’il s’agisse du paradis sur terre, du nom de Jéhovah, de la trinité, des anniversaires, ou encore de la neutralité chrétienne – convergent vers une seule question fondamentale, qui, selon lui, est la seule réellement cruciale : la Watchtower est-elle véritablement l’organisation de Dieu ?
parce que tous les autres enseignements de la Watchtower dépendent non pas de ce que dit la Bible mais, comme on le verra, de ce que l’organisation de Dieu dit de ce que dit la Bible.
Captives of a concept – Page 26
Endonctrinement par l’isolement et la conformité
Les Témoins de Jéhovah encouragent à éviter toute compagnie « mondaine » afin de préserver sa spiritualité, un message régulièrement relayé dans leurs contenus et vidéos. Par exemple, même dans le cadre professionnel, il est recommandé de limiter les interactions avec les « gens du monde », y compris pendant les pauses (comme illustré dans une vidéo de l’organisation). Plusieurs doctrines contribuent à cet isolement et renforcent l’endoctrinement, tout en alimentant un sentiment de supériorité morale. Parmi celles-ci : ne pas célébrer les anniversaires, la fête des mères ou Noël ; croire que le Christ est mort sur un poteau plutôt que sur une croix ; éviter la pratique de sports pour se concentrer sur les activités du groupe ; ou encore s’abstenir de toute participation à la politique, à l’armée, ou à des mouvements sociaux. Ces sujets, bien que discutables, agissent comme des marqueurs distinctifs qui resserrent les liens au sein du groupe. Ils creusent également un fossé entre la personne et le reste du monde, avec lequel elle partage de moins en moins de points communs. Ce fossé alimente une vision où les actes des autres sont condamnés et où seule la pensée unique du groupe est considérée comme juste.
Endoctrinement par la prière
L’endoctriné est également encouragé à prier régulièrement, non seulement pour maintenir une attitude positive, mais aussi pour se libérer de toute habitude ou pensée considérée comme incompatible avec la doctrine et la pureté du groupe. L’idée centrale est de rester vigilant, car le péché est perçu comme prenant racine dans le cœur. Cette vigilance s’étend même à des comportements qualifiés de « vices », tels que la masturbation, pour lesquels les adeptes sont incités à prier. Cela est particulièrement mis en avant dans les publications destinées aux adolescents, qui abordent ce sujet de manière explicite.Voir le livre à destination des adolescents sur ce sujet.
Endoctrinement par la soumission à l’autorité et au nom d’une pureté à atteindre
L’endoctriné évolue dans un environnement extrêmement hiérarchisé et contrôlé, où la culture de la délation est fortement encouragée (voir par exemple cet article à destination des jeunes sur jw.org). Cette surveillance constante est justifiée au nom d’un fondamentalisme religieux et d’une quête de pureté spirituelle, fondés sur une interprétation littérale de la Bible (cf. drame de Jonestown). Lorsque quelqu’un enfreint une règle établie par l’organisation, un comité disciplinaire religieux interne, composé de trois anciens, est formé pour juger la situation. Ces comités, selon moi, violent gravement le droit à la vie privée par leur caractère intrusif. Par exemple, des jeunes non mariés peuvent être contraints de détailler la nature de leurs relations sexuelles pour déterminer s’ils ont transgressé une règle. Dans certains cas, même des mineurs victimes d’abus sexuels se sont retrouvés à devoir expliquer les faits devant ces comités, parfois en présence de leur agresseur. Ce système crée une atmosphère de soumission en raison de l’autorité hiérarchique, présentée comme nommée par l’Esprit Saint, et qui agit de manière intimidante et humiliante. Les thèmes abordés, souvent très personnels, renforcent cette dynamique intrusive. Pourtant, cet environnement est perçu comme normal par les membres, car il s’inscrit dans une logique de pureté religieuse et d’alignement avec la volonté de Dieu, dans le but ultime d’obtenir le salut. Cette normalisation s’étend également à des aspects plus quotidiens, comme la tenue vestimentaire. Pour assister aux réunions, les femmes doivent porter des jupes et les hommes des costumes avec cravate, une pratique présentée comme une forme de respect envers Dieu, mais qui n’est pas perçue comme contraignante. Cependant, toute déviation peut entraîner des remarques. Je me souviens, par exemple, d’avoir acheté un costume à col mao, ce qui a suscité de nombreuses critiques. Des anciens Témoins partagent également des témoignages similaires sur des pressions vestimentaires, comme l’obligation pour les femmes de porter un maillot de bain une pièce afin de ne pas attirer l’attention. Ces histoires varient d’une congrégation à l’autre, mais elles illustrent toutes un environnement strictement normatif, où le moindre détail peut devenir un sujet de contrôle et de jugement. De plus, un ordre établi imprègne toutes les activités, un ordre que l’on suit, accepte inconsciemment et exécute sans le remettre en question. Cela se reflète notamment dans la position de la femme dans tous les aspects de la vie.
Les biais cognitifs
Certains des points abordés précédemment sont liés à des biais cognitifs. Les biais cognitifs influencent la façon dont les gens perçoivent, interprètent et pratiquent leur religion. Ils peuvent contribuer à renforcer les croyances religieuses, même en l’absence de preuves tangibles, et à maintenir une cohérence interne avec les valeurs et les convictions du groupe religieux auquel ils appartiennent.
- Biais de confirmation (le plus important) : Les gens ont tendance à chercher et à accorder plus d’importance aux informations qui soutiennent leurs croyances religieuses existantes, tout en ignorant ou en minimisant les informations qui les contredisent. Cela peut renforcer leurs convictions religieuses, même en présence de preuves contraires. Exemple : Les Témoins de Jéhovah vont systématiquement sur le site de leur organisation (jw.org) lorsqu’ils sont challengés sur n’importe quel sujet et se confortent aux explications données. Ils évitent autant que possible de croiser l’information. Autre exemple : Les Témoins de Jéhovah croient que le récit du déluge est véridique puisque ce mythe existe dans d’autres civilisations à travers le monde, au lieu de penser par exemple à une explication plus rationnelle comme celle d’un emprunt littéraire.
- Effet de croyance : Les individus ont tendance à évaluer la validité d’une affirmation en fonction de leur croyance préalable en cette affirmation. Dans le contexte religieux, cela peut signifier que les croyants ont plus de chances de considérer comme vraies les informations qui sont cohérentes avec leur foi, indépendamment de leur véracité objective. Exemple : Les Témoins de Jéhovah croient être la seule religion à ne pas s’engager dans la guerre, ce qui serait une preuve qu’ils sont les seuls à suivre les standards de Jéhovah. (Voir développement ici sur ce sujet)
- Biais de groupe : Les gens ont souvent tendance à adopter les croyances de leur groupe social ou religieux pour se conformer à leurs normes et valeurs. Cela peut limiter leur capacité à envisager d’autres perspectives religieuses et à remettre en question leurs croyances. Exemple : Il est inconcevable qu’un Témoin de Jéhovah reste chrétien une fois qu’il a quitté le groupe puisque le salut ne peut être obtenu que par l’intermédiaire de la Watchtower (Extra Ecclesiam nulla salus), alors qu’un tel concept n’existe pas dans la Bible et que croire au Christ devrait être suffisant (Jean 6:47).
- Biais de disponibilité : Les gens ont tendance à accorder plus d’importance aux informations qui leur viennent à l’esprit facilement. Dans le contexte religieux, cela pourrait signifier que les croyants sont plus susceptibles de donner plus de poids aux expériences religieuses positives et de les considérer comme des preuves solides de l’existence de Dieu ou d’une puissance supérieure. Exemple : Associer à Jéhovah la faculté de surmonter une épreuve, ou encore une réussite dans n’importe quel domaine.
- Biais de projection : Les individus ont tendance à supposer que les autres partagent leurs croyances et leurs motivations. Dans le contexte religieux, cela pourrait conduire à l’idée que les croyances de sa propre religion sont universellement acceptées et partagées. Exemple : Croire que tous les Témoins de Jéhovah pensent de la même façon alors que le groupe est très normalisateur et fait en sorte que toute divergence d’opinion manifestée soit éliminée via une exclusion.
Engagement final de la personne
À un certain moment, l’étudiant sera prêt pour le baptême, ce qui équivaut à une soumission définitive envers l’organisation. Bien que cet acte puisse sembler être un engagement sincère et une preuve d’amour envers Dieu, il s’agit en réalité, sans que la personne en ait pleinement conscience, d’un contrat implicite avec « l’organisation de Jéhovah ». Ce baptême aura des implications majeures sur l’avenir de l’individu. Les questions posées lors du baptême sont particulièrement révélatrices de cet engagement. Une fois baptisée, une personne qui ne respecte pas les directives de l’organisation fera face à des conséquences bien plus sévères et à un mépris accru, comparativement à une personne non baptisée ayant commis les mêmes actes. Cette différence de traitement est clairement détaillée dans le manuel destiné aux anciens, Prenez soin du troupeau de Dieu, au chapitre 12 (accessible sur files.accessjw.org). Ce livre secret détaille les fautes considérées comme méritant une sanction, pouvant aller jusqu’à l’isolement total de la personne par l’excommunication. Cela illustre parfaitement le poids de l’engagement pris lors du baptême.
Récompense, punition et humiliation
Ces termes peuvent sembler excessifs pris à la lettre, mais il me paraît évident qu’un système de récompense, de punition et d’humiliation est en place. Pour un homme baptisé, un engagement total ouvre la voie à des responsabilités. Il commencera par des tâches simples, comme s’occuper des micros pendant les réunions, avant d’être nommé serviteur ministériel par sa hiérarchie. Avec le temps, il pourra même aspirer à devenir ancien. En revanche, s’il ne respecte pas les règles, réduit son engagement, ou dans certains cas si un membre de sa famille, comme sa femme ou ses enfants, s’éloigne de la « vérité » (voir les témoignages de Pamela et Linda sur ce sujet), il risque de perdre ses privilèges. Cette perte s’accompagne d’une forme d’humiliation, marquée par un retrait officiel des privilèges et des discours publics évoquant les besoins de la congrégation, faisant référence à la règle enfreinte.
Contrôle de l’information
L’endoctriné est également encouragé à ne pas chercher d’informations en dehors du groupe. On lui enseigne qu’il ne faut pas être naïf, car ce monde, dirigé par Satan, cherche à attaquer l’organisation par le biais apostats. Ne pas être naïf revient donc à se fier exclusivement au matériel fourni par l’organisation et à considérer jw.org comme la seule source fiable d’information. La communication de l’organisation sur les sujets polémiques est par ailleurs particulièrement habile. L’information y est présentée de manière minimale, juste suffisante pour répondre aux interrogations, tout en s’appuyant sur des généralités ou une vision manichéenne. Cette approche permet d’esquiver les critiques, d’éviter une remise en question, et de conforter les membres dans leur foi.
Raisonnement circulaire
Le raisonnement circulaire est un mode d’argumentation qui pose come premisse ce que l’argument veut prouver. Dans une argumentation circulaire, une proposition A utilise pour sa justification une proposition B dans le même temps que la justification de la proposition B nécessite la vérité de la proposition A. Chez les Témoins de Jéhovah, l’argument circulaire est notamment utilisé pour se convaincre que Dieu a choisi l’organisation, comme le l’explique le diagramme suivant.
Il est possible de l’appliquer à différents contextes :
Sentiment général d’un endoctriné
Il est essentiel de comprendre que, pour la plupart des adeptes, la vie au sein du groupe est une source de bonheur et d’épanouissement. Ils y trouvent une raison de vivre, un sens à leur existence, un sentiment d’appartenance fort, ainsi que des réponses simples et claires à leurs interrogations. Le groupe leur offre aussi des avantages concrets : une communauté soudée, une solidarité forte et des moments de partage uniques, spécifiques à une communauté. Les Témoins de Jéhovah se perçoivent également comme détenteurs de normes morales élevées, qu’ils considèrent comme exclusives à leur communauté, vision parfois naïve, qui peut les amener à faire preuve d’une confiance excessive envers d’autres membres, y compris envers des individus dangereux. Face aux critiques, ils peinent donc à comprendre pourquoi leur groupe est qualifié de secte ou perçu comme extrémiste. Pour eux, ces accusations sont interprétées comme des signes de persécution ou des attaques orchestrées par Satan, une idée renforcée par la vision binaire du monde qu’ils adoptent progressivement. D’un point de vue individuel, tant qu’une personne reste alignée avec la pensée du groupe, l’expérience peut être vécue comme très positive. Cela est particulièrement vrai pour ceux ayant traversé des moments difficiles, comme un deuil ou une période de souffrance. Pour ces individus, le message d’espoir proposé par l’organisation agit souvent comme un pansement appliqué sur une blessure non traitée. On illustre aussi cela par une substitution de la personnalité d’origine, remplacée par une identité conforme aux attentes du groupe. Les solutions préconisées par les Témoins de Jéhovah face aux défis personnels – telles que s’appuyer sur « Jéhovah » ou intensifier la prédication – renforcent cette dépendance à l’organisation, tout en laissant les blessures profondes intactes.
Phase de réveil
Dans cette phase, la personne endoctrinée commence à se poser de nombreuses questions et à prendre conscience de sa situation. Elle réalise que la « vérité » qu’on lui a vendue n’est pas aussi idyllique qu’elle le croyait, qu’elle vit dans une bulle contrôlée et qu’elle a une perception biaisée de la réalité. Cette période est marquée par un profond bouleversement de ses certitudes. La personne entreprend alors des recherches intensives, cherchant à obtenir des réponses par tous les moyens, y compris en bravant les interdits. Elle peut, par exemple, décider de parler à d’anciens membres ou de consulter des sites qualifiés « d’apostats ». Au fil de ses découvertes, elle prend conscience que l’unité du groupe repose sur un environnement strict, basé sur le contrôle et la manipulation de l’information, l’exploitation des émotions, et l’influence sur le comportement et la pensée. C’est également à ce moment qu’elle découvre la face cachée de l’organisation, notamment les conséquences réelles et brutales de l’ostracisme. Pendant ce temps, les anciens, conscients de ces signes de remise en question, tenteront d’anticiper et de « contenir l’incendie » pour empêcher qu’il ne se propage. La personne reste particulièrement vulnérable à ce stade. Cette phase peut être comparée à des scènes emblématiques de films. On se sent comme dans The Truman Show, lorsque le personnage principal, incarné par Jim Carrey, réalise qu’il vit dans un décor factice. Il percute la paroi du plateau avec son bateau, alors que le producteur tente de le retenir, et que le public assiste, admiratif, à sa sortie. C’est également un moment de choix décisif, semblable à celui de Matrix : prendre la pilule rouge pour affronter la réalité, ou la pilule bleue pour continuer à vivre dans cet univers parallèle et illusoire, ce « pays des merveilles ».
Elle se retrouve alors face à deux choix principaux. D’une part, elle peut choisir de mener une double vie, un état désigné par l’acronyme PIMO (Physically In, Mentally Out) dans la communauté des ex-Témoins, où elle reste physiquement dans le groupe tout en étant mentalement détachée. Cette option est dictée par le chantage affectif et la peur de perdre ses proches. D’autre part, elle peut décider de quitter ce monde, en affrontant les conséquences sociales et émotionnelles d’un tel choix. Une autre possibilité consiste à fermer les yeux sur tout ce qu’elle a découvert, à relativiser ces informations, et à continuer de vivre au sein de l’organisation en acceptant ses contradictions, notamment son intolérance envers les autres religions.
Remise en question et sortie
La réalité est qu’il est pratiquement impossible, sauf cas extrêmement rare, de quitter l’organisation des Témoins de Jéhovah en étant baptisé sans perdre ses amis et sa famille. Dès qu’une personne commence à s’éloigner de la pensée du groupe ou à réduire ses activités, les problèmes surviennent. Elle sera rapidement étiquetée comme « faible spirituellement » et deviendra progressivement, voire totalement, infréquentable. Un jour, ses proches seront confrontés à un choix difficile : rester fidèles à « Jéhovah » ou maintenir leur relation avec cette personne. S’ils choisissent de garder un lien avec le fauteur, ils risquent d’être eux-mêmes considérés comme spirituellement faibles, ce qui compromettra leur relation avec Jéhovah et leur position au sein du groupe. À l’inverse, en rompant fermement les liens, ils croiront sincèrement aider cette personne à se rendre compte de la « chance » qu’elle avait de faire partie de l’organisation : un environnement perçu comme pur et harmonieux, où tout le monde semble aligné et dépourvu de critique, contrairement à un monde extérieur vu comme corrompu, égoïste et immoral. Ce mécanisme constitue, en réalité, une forme de chantage émotionnel, utilisé avec sincérité par les membres pour pousser la personne à revenir dans le groupe. Les conséquences sont particulièrement violentes lorsque le départ implique une famille. Si un conjoint ou des enfants ne partagent pas la décision de quitter « la vérité », cela brise souvent le foyer. Car, aux yeux des membres restants, celui qui quitte l’organisation est perçu comme ayant « abandonné Dieu ». Les autres membres du groupe renforcent cette dynamique en apportant un soutien à la famille restée fidèle, qu’ils voient comme victime d’une « épreuve ». Parfois, ils encouragent même explicitement la famille à couper tous les liens avec la personne perçue comme un « traître ». Voir par exemple le témoignage de la femme de Marc O’Donnell sur ce sujet dans le reportage de Vice TV. Il est tragique qu’au nom de la liberté de croyance et sous l’influence d’un endoctrinement profond, on en arrive à une intolérance et à des ruptures familiales complètes. Cela entre en contradiction directe avec la protection des familles, pourtant garantie par les constitutions de nombreux pays. Ces pratiques révèlent la complexité de l’interprétation des droits fondamentaux face à cet extrémisme religieux et le coût émotionnel et social extrêmement élevé de quitter l’organisation. La défense de la Watchtower sur ce sujet est, selon moi, déplorable. L’organisation affirme que le retrait est un choix individuel, relevant de la seule responsabilité de la personne, et qu’il n’est pas obligatoire de passer par la case excommunication. Pourtant, cette affirmation n’empêche pas la personne de subir cet ostracisme dès que son engagement diminue.
Respect de la vie privée et familiale
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.
Charte des droits fondamentaux de l’UE – Chapitre 2 – libertés – Article 7
Liberté de pensée, de conscience et de religion
Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
Charte des droits fondamentaux de l’UE – Chapitre 2 – libertés – Article 10
Le droit à l’objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.
Barrières psychologiques
S’il y a bien un trait qui caractérise un individu endoctriné, c’est son incapacité à raisonner de manière critique, à se remettre en question et à évaluer objectivement une situation. Un endoctriné éprouve une loyauté inébranlable envers l’organisation, ce qui rend toute discussion critique extrêmement difficile. Avec un Témoin de Jéhovah, toute argumentation remettant en question la doctrine ou l’organisation sera immédiatement contestée. Les réponses auront tendance à s’appuyer sur des généralités, une vision manichéenne (noir ou blanc), ou encore sur l’idée que Satan est responsable de ces « attaques ». Ainsi, il est peu probable que la personne analyse rationnellement vos propos ou examine vos sources. Au contraire, l’aspect émotionnel prendra le dessus, bloquant tout raisonnement logique. À un certain stade d’endoctrinement, les explications rationnelles deviennent secondaires. Ce qui compte, c’est le sentiment général et la croyance, souvent biaisée sur de nombreux sujets. Ces croyances sont protégées par des « techniques de contrôle » qui se sont progressivement installées au fil du temps et qui assurent, en réalité, la survie d’une organisation américaine n’ayant aucun rapport avec Dieu. Si vous êtes vous-même Témoin de Jéhovah cela est même un exercice périlleux que de partager vos doutes et vos recherches, car vous risquez de vous faire dénoncer et d’être marqué « faible spirituellement ». Lorsqu’on cherche à aider quelqu’un à sortir d’un mouvement à haute emprise, l’objectif principal est de restaurer sa capacité de raisonnement et de discernement. Cela implique de l’aider à déconstruire les barrières psychologiques mises en place par l’endoctrinement. Cet exercice est encore plus complexe lorsque celui qui tente d’aider la personne a un parti pris dans cette situation, ce qui peut entraver la communication et la compréhension mutuelle.
Jugement et déresponsabilisation
Cette personne baptisée commet un affront irréparable en s’opposant par exemple ouvertement à la pratique de l’ostracisme, remettant ainsi en question l’unité du groupe. Parenthèse importante : bien que cette pratique résulte de tout ce qui a été développé précédemment, elle représente, selon moi, l’aspect le plus dérangeant. L’ostracisme agit comme une véritable « arme de dissuasion nucléaire » sur le plan psychologique et émotionnel, utilisée pour préserver l’unité et la pensée unique au sein du groupe. Sans cette pratique, une grande partie des dérives sectaires et des souffrances associées aux Témoins de Jéhovah disparaîtrait. Comparer les conséquences d’une excommunication chez eux à celles d’autres religions revient à opposer les effets d’un pistolet à eau à ceux d’une ogive nucléaire sur la vie d’une personne. En s’opposant à l’ostracisme, la personne devient donc une menace pour l’unité du groupe et provoque des divisions. Un « frère » peut la dénoncer, conformément aux encouragements du groupe à signaler toute déviation de la doctrine ou de l’unité. Cette dénonciation entraîne la convocation d’un comité disciplinaire interne composé de trois anciens, légitimés par l’Esprit Saint pour juger la situation. Les comités disciplinaires, parfois chargés de traiter des cas de pédophilie, reposent sur une déresponsabilisation marquée. L’organisation des Témoins de Jéhovah fonctionne de manière très hiérarchique, avec des dirigeants « oints » par Jéhovah qui définissent la doctrine et les interprétations officielles. Ainsi, lorsqu’un ancien prononce une sentence comme l’excommunication, il ne se sent pas directement responsable de la décision.
Cette déresponsabilisation repose sur plusieurs facteurs :
- Une hiérarchie stricte : les cas complexes nécessitent l’intervention d’une autorité supérieure.
- Un mandat perçu comme divin : les directives émanent de « l’organisation de Jéhovah ».
- La peur des sanctions : tout ancien risquant des représailles s’il exprime une opinion divergente.
Les anciens suivent donc les procédures rigoureusement décrites dans des manuels tels que Prenez soin du troupeau de Dieu (voir files.accessjw.org), sans jamais remettre en question leur contenu et font appel à leur hiérarchie pour les cas les plus complexes.
L’excommunication engendre des conséquences dévastatrices, sur le plan émotionnel et matériel, pour la personne concernée.
Pour illustrer l’automatisme des procédures, je partage une anecdote personnelle. Pendant ma phase de réveil, j’ai analysé le manuel Prenez soin du troupeau de Dieu et observé à quel point certains anciens appliquaient à la lettre les directives décrites, jusque dans leur manière de m’approcher.
Reconstruction et conclusion
Sortir de l’endoctrinement et se reconstruire est un processus long et exigeant, une véritable bataille. Il s’agit de se libérer de cette personnalité forgée par le groupe, qui s’est superposée à votre véritable identité. Cela implique de déconstruire vos peurs, votre conditionnement, vos certitudes et cette vision binaire du monde qui vous a été imposée.
Il faut également faire face à la pression constante du groupe : le chantage affectif, les relations ambivalentes où l’on souffle le chaud et le froid, et l’ostracisme. Dans ce contexte, partager son histoire devient essentiel. Cela vous permet de reconnaître que ce que vous avez vécu n’est pas « normal », de comprendre que vous n’êtes pas seul, et d’apprécier la richesse du monde dans sa diversité – qu’il s’agisse des couleurs, des formes, des opinions ou des modes de vie – plutôt que dans une uniformité imposée. Chercher de l’aide est non seulement normal, mais vivement recommandé pour avancer sur ce chemin.
En prenant du recul, en laissant la raison prévaloir sur l’émotion, en effectuant des recherches approfondies, en cultivant l’humilité et l’ouverture d’esprit, et en remettant en question vos croyances, vous commencerez peu à peu à comprendre la réalité de l’extrémisme, du radicalisme et des aberrations de cette doctrine.
En conclusion, je pense que le principal biais conduisant à de telles dérives réside dans la conviction profonde et passionnée que Dieu a choisi cette organisation et dans la volonté d’appliquer littéralement sa parole, telle qu’elle est interprétée à partir de la Bible. Cette croyance absolue, combinée à une peur exacerbée liée à l’idée d’être « les élus », bloque toute remise en question. Cela rend la situation d’autant plus dramatique : des personnes, persuadées d’agir dans la droiture, en viennent à exclure toute tolérance et à rejeter la diversité des opinions et des choix de vie dans leur entourage.
Comprendre l’histoire et les polémiques autour de cette organisation, analyser l’expérience de groupe que vous avez vécue, et reconnaître que ces schémas ne sont pas exclusifs aux Témoins de Jéhovah (on retrouve des récits similaires, par exemple, chez les Mormons) peut grandement vous aider dans votre émancipation. Ces dynamiques se répètent dans d’autres contextes, et les identifier est une étape clé pour se libérer.
Il reste encore beaucoup de facteurs à explorer, mais j’espère avoir pu vous offrir quelques pistes de réflexion. Vous pourrez trouver d’autres éléments et approfondissements sur le reste de mon site.
Autres lectures
La difficulté du désendoctrinement
Pour approfondir le sujet du désendoctrinement chez les Témoins de Jéhovah, je vous recommande la chaîne YouTube de ExJW Caleb. Ancien membre de cette organisation, Caleb partage des vidéos animées où il explore les défis liés à la sortie de ce groupe et à la reconstruction personnelle qui s’ensuit. Bien que ses vidéos soient en anglais, vous pouvez activer les sous-titres automatiques en français via les paramètres de YouTube.
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