La solitude, un fléau mondial et une « mesure d’amour » dans l’organisation des Témoins de Jéhovah

Actuellement, le monde occidental et le reste du monde sont en train de faire face à un fléau mondial. Vous l’aurez compris, ce n’est pas le virus Covid. En effet, la solitude est une bête féroce qui sommeille et qui est en train de tuer un tiers de la population mondiale dont 45% des gens du Royaume-Uni, 50% des Etats-Unis, et 65% de l’Inde. Pour une fois, le monde est uni dans un sens profond de solitude qui ne respecte pas les frontières, le rang social, et l’âge.

Considérée comme l’écart entre le niveau de connectivité que vous voulez et ce que vous avez, la solitude est plus mortelle que fumer 15 cigarettes par jour. Ainsi, la solitude du manque, la solitude de la souffrance est de toute évidence corrélée avec les problèmes de somatisation physique, tant que psychique.

Plus d’une centaine d’études dans le monde entier répertorie les conséquences physiques de l’isolement dans le monde social : augmentation de la pression artérielle, affaiblissement du système immunitaire, variation glycémique.

Par conséquent, la solitude est la cause de la mort prématurée dans 30% des cas. Elle provoque des conditions de santé concomitantes comme la démence, la dépression, l’anxiété. Elle conduit aussi à une mauvaise performance à l’école comme au travail.

Mais, l’information n’est pas nouvelle. En effet, de nombreuses études l’ont montré, et ceci a défrayé la chronique : la solitude est dangereuse.

Par ailleurs, ses effets sont d’autant plus nocifs quand la solitude est imposée par des situations subies, des situations de frustration, des imprévus, des situations de vie redoutées. Comme dans le cas de l’excommunication pratiquée par l’organisation des Témoins de Jéhovah où la solitude est imposée aux adeptes comme une situation à laquelle ils sont obligés de s’accommoder finalement.

Et malheureusement, l’exclusion des mineurs était la raison principale invoquée par le ministère de l’Enfance et de la Famille de Norvège auprès du tribunal de district d’Oslo pour le retrait de l’enregistrement des Témoins de Jéhovah. Ainsi, la Norvège, pays en tête de liste pour la liberté de la presse, a choisi de préserver les acquis démocratiques au détriment de la politique d’isolement social pratiquée par les Témoins de Jéhovah.

« Dans un premier temps, nous pourrions penser qu’une décision d’excommunication est excessive, voire dure, en particulier si nous sommes proches du pécheur…Dans bien des cas, l’excommunication apporte au pécheur la punition dont il a besoin.« 

Pourquoi l’excommunication est une disposition pleine d’amour — BIBLIOTHÈQUE EN LIGNE Watchtower (jw.org)

En effet, l’impact du rejet social dans un contexte religieux a des enjeux absolument graves. Des impacts réels sur les comportements, notamment dans le regard qu’on porte sur soi. Une gêne des émotions, un refus de l’image à soi pour pouvoir encaisser le choc du refus lui-même. Ce qu’éprouve une personne rejetée par le groupe est indescriptible : il se distancie par rapport à l’organisation, par rapport à lui-même. En effet, l’adepte doit mettre une énergie extraordinaire pour se réparer. Sans quoi sa survie physique et psychique est en jeu. C’est pour cette raison éthique que l’exclusion est interdite dans les sociétés de démocratie libérale.

En surenchère, dans l’expérience nommée « La situation étrange », le psychologue Blaise Pierrehumbert explique que l’enfant a besoin du regard de l’autre pour se réguler. Il ne supporte pas de se retrouver seul, sans répondant en face de lui.

« Lorsque le parent s’en va, la plupart des enfants sont désemparés parce qu’ils sont dans une situation nouvelle qu’ils ne connaissent pas. Pour pouvoir explorer, il faut que l’enfant soit en sécurité, il faut que l’adulte soit là. »

Se retrouver dans l’isolement s’avère extrêmement compliqué pour l’être humain. Loin de leur proche, certains montrent des signes d’angoisse qui font place à de l’hallucination. En effet, l’espèce humaine est une espèce sociale. Nous avons hérité de l’instinct grégaire pour interagir avec les autres, pour vivre et surtout pour construire. L’homme a besoin de l’autre pour se réguler. Ainsi, l’absence de liens sociaux peut entraîner des conséquences dramatiques.

Le psychiatre René Spitz a été le premier, dans les années 1940-1950, a démontré que « les interactions sociales avec d’autres humains sont essentielles au développement des enfants. » Ce qui a permis d’améliorer considérablement les conditions des enfants qui mouraient de solitude dans les orphelinats.

“L’enfant tout comme l’adulte a besoin de nourriture affective, pas seulement de nourriture matérielle.”

A l’instar de l’enfance, l’adolescence est aussi une phase charnière de la vie. On y construit cette autonomie aussi petit à petit. Mais après un certain temps d’isolement, l’adolescent et l’adulte excommuniés ne peuvent pas sortir tout seuls. En effet, pour punir, l’organisation des Témoins de Jéhovah a instauré des règles strictes pour couper le pont de l’entourage familial et des amis qui s’impliquaient profondément dans la relation. Parfois, il faut des situations de ré-apprivoisement de la personne, des prises en charge par des professionnels de santé mentale.

Une situation de violence passive extrême sur les libertés de la personne au nom de la religion, au nom de la cohésion du groupe. Ainsi, l’adepte est coupé de tous les liens, du support du groupe.

L’excommunication met les adeptes dans un bulbe imaginaire qui les force à s’habituer à un confort solitaire dans le but d’un quelconque repentir. Ce qui peut amener les enfants à des performances académiques alarmantes, et qui peut conduire à la dépression chez les adultes.

L’organisation des Témoins de Jéhovah a conçu l’excommunication comme un moment d’expérimentation pour que l’adepte puisse se préparer et sortir. Une occasion de naître de nouveau, lavé et blanchi pour s’intégrer dans leur monde théocratique. Mais, pour une grande partie des excommuniés, les parois du bulbe se durcissent à mesure qu’ils sont au-dehors. Ces gens déboussolés perdent les compétences nécessaires pour faire face à la vie réelle et chaque jour devient de plus en plus challengeant pour revenir dans la réalité.

Paradoxalement, les Témoins de Jéhovah encouragent les réunions et l’aide affective, mais seulement entre les adeptes et les gens qui acceptent radicalement leur politique. L’organisation n’hésite pas à refermer dans la solitude involontaire ceux qui s’interrogent sur la doctrine, qu’ils qualifient d’apostat, ou ceux qui enfreignent leur principe. Et selon la dernière déclaration d’un ancien responsable, l’organisation ne compte pas bouger d’un poil sur sa politique d’exclusion.

Les personnes excommuniées sont en proie à une lutte intérieure des plus cruelles. Etonnamment, pendant que l’organisation invite les excommuniés à participer aux réunions, bien qu’ils soient entourés par l’assemblée, ils sont très seuls. En fait, les autres adeptes sont interdits de leur adresser la parole, même de les saluer. Ces parias n’ont pas le droit à la parole dans l’assemblée, pourtant ils devraient suivre toutes les réunions dans le cadre de leur réintégration. Seuls les responsables sont autorisés à leur adresser la parole et suivre leur évolution à une bonne distance imposée par l’organisation.

« Tous les membres de la congrégation peuvent faire preuve d’un amour fondé sur des principes en évitant tout contact et toute conversation avec l’excommunié (1 Cor. 5:11 ; 2 Jean 10, 11). C’est une façon de soutenir la sanction que Jéhovah a prise par l’intermédiaire des anciens. »

Pourquoi l’excommunication est une disposition pleine d’amour — BIBLIOTHÈQUE EN LIGNE Watchtower (jw.org)

Ils sont isolés socialement, parfois même sur leur propre toit, au sein de leur propre famille, ils sont seuls. Ce qui alimente forcément le sentiment de solitude. Malheureusement, c’est le sentiment de l’expérience de l’excommunication. Bien souvent, une fois ce sentiment éprouvé, la personne se sent inutile, incapable de vivre, elle se culpabilise.

« L’excommunication est une disposition nécessaire, qui nous aide à vivre en accord avec les normes de Jéhovah, conclut Julian. Avec le temps et malgré le chagrin qu’elle cause, elle apporte de bons résultats. Si j’avais toléré la conduite de mon fils, il ne se serait jamais ressaisi. »

Effectivement, il est difficile de grandir dans la solitude. Le rapport aux autres est essentiel dans le développement de l’enfant et de l’adolescent. Une fois adulte, le regard des autres reste un élément central pour l’équilibre personnel.  Appartenir à un groupe, se sentir considéré permet de garantir une bonne estime de soi. Mais quand le groupe isole et rejette l’individu, quelle conséquence pour l’image de soi ?

Selon John Cacioppo de l’universite de Chicago :

« La solitude augmenterait le risque de décès prématuré à 19% chez les personnes âgées. »

Mais, pendant que l’organisation des Témoins de Jéhovah discipline ses membres refractaires, le Royaume-Uni et le Japon les prend en charge.

En effet, le Royaume-Uni a nommé un ministère de la Solitude avec un support de plus de 11,5 millions d’euros dont le rôle est exclusivement regarder le fléau de la solitude au temps de la Covid.

Avec une augmentation alarmante des taux de suicide, le gouvernement du Japon a jugé bon la création du ministère de la Solitude pour adresser le problème de la santé mentale dans le pays.

En outre, les deux gouvernements se sont rencontrés pour discuter de la lutte contre la solitude. Comme indiqué dans une déclaration conjointe, ils sont convenus de renforcer la coopération bilatérale :

Avec des réunions régulières entre le Royaume-Uni et le Japon ; le partage des connaissances sur les mesures et les politiques; et travailler à accroître la sensibilisation mondiale à la solitude.

Ainsi, les ministres du gouvernement encouragent les démarches comme augmenter les connexions sociales, enseigner aux enfants à l’école à propos des bonnes pratiques de relation saine.

Ainsi, dans le cadre du programme de réinsertion, les gouvernements soucieux ont appris aux citoyens à vivre en solitaire sans forcément être malheureux. Pour cela, ils devront tirer un bon parti de la solitude. Quand l’adepte excommunié n’associe pas cette situation à une expérience négative, il va chercher dans cet isolement ce contact avec soi-même pour pouvoir progresser. Il intériorise l’absence, le manque pour mieux rebondir.

En effet, il existe des techniques de méditation de pleine conscience pour s’immerger dans l’instant présent. Vivre dans le passé rend dépressive, et vivre dans le futur rend anxieux.

Cependant, plusieurs trouvent dans la solitude ressource, le moyen de sortir de la solitude ou de composer avec, par le rapport avec la nature, avec l’environnement. Ces personnes excommuniées, par manque d’attachement des relations avec autrui peuvent accroître cet attachement avec la vie, la vie naturelle, les promenades, la nature en général. Une autre catégorie de personnes excommuniées peut puiser dans les ressources intérieures, la spirale à l’intérieur de soi. Ainsi, ils trouveront la possibilité de se ressourcer, de remonter, et d’être disponible à autrui. Le livre « Maxence et bien-être hors secte » en donne un aperçu.

Ainsi, la solitude devient un outil. Au lieu de lutter pour l’éradiquer, on va l’apprivoiser, l’accroitre, l’approfondir, toucher le fond pour mieux rebondir.

La solitude est regardée en tant qu’expérience, comme une histoire qu’on traverse. On va regarder aussi les traces en soi, les expériences, ce que l’on a retenu, les multiples facettes. Mais aussi, qu’est-ce que j’ai appris de moi-même, ma capacité d’être avec moi, de ma capacité à être à l’écoute.

C’est un travail titanesque, mais les experts en santé mentale disent que les résultats en valent la peine. Malgré l’expérience disciplinaire avec l’organisation des Témoins de Jéhovah, un excommunié, et toute autre personne a besoin de temps en temps de descendre à l’intérieur de soi. Parce que l’estime de soi et les relations humaines sont aussi essentielles pour notre survie que l’eau et la nourriture.

Sources:

Décision de justice de la Norvège en français (pdf)

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